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Peer Gynt

@ Gaëlle Simon

D’après Henrik Ibsen – Adaptation et mise en scène Irina Brook – poèmes Sam Shepard – chansons Iggy Pop – création musicale collective d’après Edward Grieg – Spectacle en anglais, surtitré en français.

Dès l’entrée dans le théâtre on est immergé dans une ambiance musicale, une sorte de fête populaire pour noces et banquets. Pendant que le public s’installe les musiciens commencent à arriver de leur côté, détendus, ils prennent un verre et discutent entre eux. On se croirait dans les coulisses. Petit à petit ils commencent à dévoiler leurs instruments et à s’échauffer, avant de se fondre dans le spectacle où ils seront acteurs en même temps qu’instrumentistes. Violon, saxophone, guitare, basse, contrebasse, clarinette, trompette, batterie et percussions traversent la pièce, qui débute avec la petite flamme de celle qui sera la cristalline Solveig puis Démon vert chez les Trolls, la talentueuse et ravissante Shantala Shivalingappa. Peer Gynt est tout aussi magique, le grand acteur islandais Ingvar Sigurdsson, plein de charme et de roublardise, mène cet opéra-rock de main de maître, les acteurs sont de tous les pays. Les chansons d’Iggy Pop se mêlant au texte, la figure de Peer se superpose à celle de la rock star, pour notre plus grand plaisir. Le pays des Trolls, ce lieu de mythologie nordique populaire, aurait sa place dans les salles de concert rock telles que le Palace ou la Cigale. Irina Brook imaginait David Bowie en maître des lieux.  Peer Gynt vend son âme aux djinns pour épouser la fille du roi Troll, il lui est demandé de renoncer à sa condition d’homme, alors à toute vitesse il s’enfuit mais ne cessera d’être poursuivi. Des poèmes de Sam Shepard complètent la partition.

Formée au jeu à New York dans les années 1980 selon la méthode de l’Actor’s Studio, Irina Brook est comédienne avant de se consacrer à la mise en scène. Elle obtient en 2001 le Molière de la meilleure mise en scène pour Une bête sur la lune de Richard Kalinoski, puis monte Marivaux, Shakespeare, Brecht et Tennessee Williams. Passionnée de musique, elle réalise plusieurs mises en scène pour l’opéra. Depuis janvier 2014 elle dirige le Centre dramatique national de Nice-Côte d’Azur. Elle donne ici, dans le cadre du théâtre des Bouffes du Nord qui lui va si bien, sa libre interprétation de la pièce d’Ibsen, dense, belle, et aussi énigmatique que l’âme humaine et derrière la fable, pose la question existentielle et philosophique de la recherche de soi. Peer, au seuil de sa vie, fait le bilan : Qu’ai-je fait de ma vie ? Elle cite en référence Antoine Vitez qui s’exprimait sur la pièce : « Échapper aux simulacres, aux représentations, s’arracher au théâtre que l’on se fait de sa propre vie, aux rôles (…)  tout ce qui nous fait tant rêver depuis notre enfance, dépouiller tout cela, déposer à terre les vêtements imaginaires et courir nu. » La metteure en scène s’est appropriée Peer Gynt sans trahison, l’esprit y est bien, avec sa fronde et sa liberté de ton, l’insolence et l’affabulation. Les écarts d’avec la pièce restent anecdotiques, elle fait ses arrangements, au sens musical du terme et pose un point de vue sur le monde d’aujourd’hui.

C’est une année de Peer Gynt, David Bobée vient d’en présenter une intéressante lecture de son côté (cf. notre article du 14 février). Irina Brook propose la sienne, féérique et musicale en diable : la neige sur le plateau appelle la Norvège, l’errance de Peer Gynt et l’espérance de Solveig sont porteurs d’une grande poétique, les costumes et les masques, quelques pétales de fleurs donnent l’esprit de la fête et de la magie, une magnifique toile peinte en fond de scène, réalisée d’après le tableau Glad day par William Blake, largue les amarres à la toute fin du spectacle et l’on flotte entre réel et imaginaire, rêve et réalité. Une vision d’apocalypse dans le cœur et la quête d’un homme.

Brigitte Rémer, le 16 février 2018

Avec : Helene Arntzen, Frøydis Arntzen Dale, Diego Asensio, Jerry Di Giacomo, Scott Koehler, Mireille Maalouf, Roméo Monteiro, Damien Petit, Margherita Pupulin, Pascal Reva, Augustin Ruhabura, Gen Shimaoka, Shantala Shivalingappa, Ingvar Sigurdsson – Poèmes Sam Shepard – chansons Iggy Pop – chorégraphie Pascale Chevroton – scénographie Noëlle Ginefri – costumes Magali Castellan assistée d’Irène Bernaud – masques Cécile Kretschmar assistée de Sarah Dureuil – lumière Alexandre Toscani – assistant à la mise en scène Angelo Nonelli.

Du jeudi 8 au dimanche 18 février 2018, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Bd de la Chapelle, 75010 Paris  – métro : La Chapelle – tél. : 01 46 07 34 50  – site : www.bouffesdunord.com – En tournée :  le 6 mars 2018, Scène nationale, Narbonne – les 9 et 10 mars 2018 Théâtre Saint Louis, Pau – le 13 mars 2018 Théâtre Jean Vilar, Saint Quentin dans l’Aisne – les 19 et 20 mars 2018 la Coursive, La Rochelle – les 22 et 23 mars 2018 Théâtre Angoulême, scène nationale – les 27 et 28 mars 2018 L’Apostrophe, Cergy-Pontoise – Le spectacle fut créé au Festival de Salzbourg en juillet 2012, en France au Théâtre National de Nice-CDN Nice Côte d’Azur en septembre 2014.

Peer Gynt

© Arnaud Bertereau

Texte Henrik Ibsen – Traduction François Regnault – Adaptation et mise en scène David Bobée/CDN Normandie-Rouen – Créé en janvier 2018 au Grand T de Nantes.

Ce poème dramatique norvégien en cinq actes d’Ibsen, publié en 1867 et représenté pour la première fois à Oslo en 1876, contient pas moins d’une cinquantaine de personnages. C’est dire la difficulté de le monter et la nécessité de l’élaguer. Au début de la pièce, Peer Gynt est un tout jeune homme, il nous mène, dans ses errances, jusqu’à la vieillesse et la solitude absolue. Fou de liberté, il parcourt le monde et le défie, taille sa vie fantasmée à coups de mensonges et de rêves, rate ce qu’il entreprend. Sa course folle tient de la fuite et du parcours initiatique et la chute n’est jamais loin de l’envol, dans sa quête d’identité il tient de l’albatros. Ceux qui le croisent n’en sortent pas indemnes : il perturbe la fête au village, viole la mariée, s’enfuit, séduit la fille du roi des montagnes qui l’entraîne dans le monde des trolls, leur vend son âme puis tente de se désister, s’enfuit à nouveau.

Derrière ses vagabondages qui célèbrent la vie, deux femmes illuminent son parcours : Ase, sa mère, avec laquelle il célèbre ses retrouvailles dans une petite roulotte, elle qui le connaît si bien dans ses affabulations et qui oscille entre surprotection et colère, lui qui l’accompagnera tendrement jusqu’à la mort ; Solveig – qui signifie le chemin du soleil – dont il tombe éperdument amoureux et qu’il retrouvera à l’approche de la mort, trop occupé par les affaires extraordinaires qu’il essaye de faire. Car il a de l’ambition et rêve de reconnaissance.

Après la mort de sa mère en un moment très émouvant où il lui fait croire qu’ils chevauchent ensemble dans la voie lactée, en route vers Saint-Pierre, après un saut dans le temps, on retrouve Peer Gynt loin de la Norvège, marchand d’esclaves à la tête d’une fructueuse affaire au Maroc. Comme toujours l’affaire tourne court et ses rencontres sont autant de mises à l’épreuve. Son partenaire le dévalise et le bateau plein de ses richesses sombre en mer, lors d’un retour qu’il souhaitait triomphal. Une série de péripéties s’en suivent. On le retrouve en Arabie où sa dernière conquête, Anitra, lui dérobe ses derniers biens puis en Egypte où il est sacré empereur des fous, dans un asile. Sur le vaisseau du retour au pays il subit encore toutes sortes d’inquiétudes par ses aventures, notamment avec un mystérieux fondeur de boutons-sorte d’alchimiste, avant de retrouver Solveig et de mourir entre ses mains : « Ton voyage est fini, Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur. »

Dans une scénographie monumentale sur le thème de la fête foraine constituée de passerelles modulables manipulées à vue par les acteurs, toujours tous présents sur scène, ces échafaudages magnifiquement éclairés deviennent montagnes, forêts, navires et équipages. David Bobée conçoit lui-même ses dispositifs scéniques et élabore à partir de là, dramaturgie et théâtralité. Fondateur de la compagnie Rictus et metteur en scène depuis 1999 après des études de cinéma et de théâtre, il dirige depuis 2013 le Centre dramatique national de Normandie-Rouen. Il a mis en scène entre autre Lucrèce Borgia en 2014, puis La Vie est un Songe en 2017 en Tunisie et vient de monter un premier opéra, The Rake’s Progress de Stravinsky.

L’excellent travail qu’il propose à travers la fable et cette figure mythique qu’est Peer Gynt, pièce emblématique d’Ibsen, lui permet de poursuivre ses expérimentations même si les moyens et les plateaux ont changé d’échelle. Il mêle théâtre, danse, musiques, lumières et tout ce qui fait spectacle, avec brio et sensibilité, accompagné d’acteurs qui servent avec justesse ce monde fantasmé et poétique venu du grand nord scandinave. Et il renvoie à la question pour le moins troublante et qui nous concerne tous : qu’est-ce qu’être au monde?

Brigitte Rémer, le 9 février 2018

Avec Clémence Ardoin, Jérôme Bidaux, Pierre Cartonnet, Amira Chebli, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal, Grégori Miège, Marius Moguiba – dramaturgie Catherine Dewitt – assistante à la mise en scène Sophie Colleu – scénographie David Bobée et Aurélie Lemaignen – composition et interprétation musicale Butch McKoy – création lumière Stéphane Babi Aubert – création son Jean-Noël Françoise – costume Pascale Barré – construction de la structure du décor par les ateliers du Grand T, théâtre de Loire- Atlantique – toiles peintes par les ateliers de l’Opéra de Limoges – construction des éléments mobiles Richard Rewers

Du 25 janvier au 4 février 2018, Les Gémeaux Scène Nationale de Sceaux, 49, av Georges Clé­men­ceau – RER B : Bourg-la-Reine et 5 mn à pieds – tél. : 01 46 61 36 67 – Site : www.​lesgemeaux.​com – En tournée : les 8 et 9 février 2018 au Théâtre des Salins, Martigues – vendredi 16 février à L’Avant-Scène, Colombes – 21 et 22 février à la Scène Nationale 61, Flers – 8 et 9 mars au Carré Colonne, Saint-Médard-en-Jalles – 20 et 21 mars 2018 à La Passerelle, Saint-Brieuc – 19 avril aux Scènes du Golfe, Vannes.